Sochaux, un club, une usine




Un club de football n'est pas seulement un fournisseur de spectacle. Comme d'autres groupes, il possède une identité, une culture, et plus globalement une histoire.


L'histoire du club de Sochaux est avant tout celle d'une entreprise : les automobiles Peugeot. C'est en effet le patron de la firme, Jean-Pierre Peugeot qui décida en 1928 de fonder un club de haut niveau donnant naissance au FC Sochaux-Montbéliard.


C’est également la firme automobile qui imposa de nouvelles règles au football français en payant ouvertement ses joueurs, créant ainsi le premier club professionnel.


En 75 ans, le FC Sochaux est devenu un des clubs les plus prestigieux du football français, tant par sa gloire passée que par cette « éthique du beau jeu » qui en a fait sa réputation, directement issue de « l’esprit Peugeot ».


En revenant sur l’épopée du FC Sochaux, nous nous attacherons à saisir les liens particuliers qui unissent le club à la célèbre marque de voiture et qui en font une des histoires les plus singulières du sport français.


Nous explorerons le passé en nous aidant des nombreux documents d’archives (films et photos) qui retracent les grandes heures du club, mais aussi le présent car le FC Sochaux porte aujourd’hui les couleurs de toute une région




"Le club de football de Sochaux c'est une famille : la famille Peugeot"


Jean-Claude Plessis, président du club



Le modèle de la famille Peugeot est un modèle ancien et procède du paternalisme, le patron cherchant à exercer son autorité et à mobiliser symboliquement au bénéfice de l'entreprise. Avant-guerre, Peugeot veut promouvoir une image positive via un sport populaire, à l'image de ce que réalise à la même période des firmes Bayer, Philips ou Fiat avec le soutien au Bayer-Leverkusen, au PSV Eindhoven et à la Juventus de Turin. C’est donc tout naturellement vers ce sport d’équipe, ce « sport roi », que l’entreprise va se tourner pour réaliser son rêve : faire briller le lion de Peugeot sur les terrains de sport.


Pour Jean-Pierre Peugeot, le sport est un « devoir social » qui doit donner aux ouvriers le goût de la lutte, de la concurrence, ce qui les unit au patronat pour "gagner" dans le cadre de la compétition économique. La rationalité sportive et la rationalité de la production sont identiques. C'est le même esprit d'équipe qui doit animer les ouvriers, les contremaîtres, les ingénieurs et les joueurs qui défendent les couleurs de l'équipe sur le terrain. Jean-Pierre Peugeot va mettre ce principe en pratique, développant, par son investissement dans le club, la solidarité d'intérêt entre patronat et ouvriers.



"À l'exemple des grands centres industriels, Peugeot a établi un vaste programme sportif qui doit permettre à son personnel de se livrer aux saines joies que procurent les exercices en plein air tout en se livrant à son sport favori. L'équipe devra porter bien haut le fanion des automobiles Peugeot à travers la France…"


Jean-Pierre Peugeot




Une glorieuse épopée


Créé en 1928, le club sochalien devient en moins de dix ans une équipe majeure du football français. De sa création à la seconde guerre mondiale, le FC Sochaux remporte deux championnats et une Coupe de France tout en fournissant de nombreux joueurs à la sélection nationale.


Après une fusion avec l'A.S. Montbéliard en 1930, le club devient le FC Sochaux-Montbéliard (FCSM) et innove à nouveau en proposant aux meilleurs clubs professionnels une compétition préfigurant le championnat de France. L'épreuve, qui prend le nom de COUPE PEUGEOT, est remportée par Sochaux la première année. Au terme de la seconde épreuve en 1932, la FFF décide d'officialiser le professionnalisme et de mettre en place un championnat unifié. Sochaux a été un détonateur et, en deux ans, s'est illustré en battant les meilleurs clubs français et en remportant le titre de Champion de France en 1935.


Si la constellation de vedettes n'est que quatrième la saison suivante, elle se rattrape en remportant la Coupe de France contre Strasbourg. Rien ne semble arrêter des Lions qui ne comptent quasiment dans leurs rangs que des internationaux tels Di Lorto, Duhart, Lauri, Courtois ou Mattler. Ce dernier, qui a joué trois Coupes du Monde, devient même en 1938 le recordman du nombre de sélections. En 1938, Sochaux gagne son second championnat après une longue lutte avec Marseille, ce qui permet au FCSM de se construire le plus beau palmarès français des années trente.


Déjà, le club imagine une solution pour briller sans avoir à rémunérer des joueurs de plus en plus chers. Les dirigeants recrutent de jeunes joueurs qu'ils souhaitent aguerrir au contact des grands joueurs. Le club va rapidement avoir la possibilité de vérifier son intuition. La seconde guerre mondiale débute, les joueurs étrangers fuient et les cadres de l'équipe sont mobilisés.


Le club parvient à survivre à la guerre, mais rien ne sera plus jamais comme avant. La détection va devenir un leitmotiv et une méthode pour permettre au club de se maintenir au plus haut niveau. Après la libération, Sochaux ne peut compter que sur quelques anciennes vedettes en fin de carrière pour entourer les jeunes pousses.


À partir de 1949, Peugeot imagine une nouvelle solution pour relancer son club à moindre frai: recruter dans toute la France des joueurs repérés dans les clubs amateurs par les concessionnaires Peugeot. Ces jeunes, qu’on appellera bientôt les Lionceaux, vivent une sorte «d’apprentissage» au contact des joueurs professionnels… Cette politique des Lionceaux est également plus conforme à l’esprit Peugeot qui ne veut pas payer des joueurs de plus en plus chers, dans un milieu ouvrier…


Toujour novateurs, les dirigeants sochaliens ouvrent un centre de formation en 1974 qui détecte et encadre les futurs joueurs dès l'âge de 12 ans. Sous les ordres de Pierre Tournier, le centre accueille dès la première année une génération qui fera les beaux jours du club plus tard : Genghini, Bats, Stopyra ou Anziani grandissent, progressent et intègrent peu à peu l'équipe professionnelle.


En 1999, Peugeot amorce un virage dans la gestion du FC Sochaux. Jusqu’à présent, la firme automobile subventionnait le club, comme le font certaines municipalités.

Aujourd’hui, le FC Sochaux Montbéliard est toujours la propriété du groupe, mais il est géré comme une filiale indépendante, qui doit trouver par elle-même les moyens de sa propre subsistance. C’est pour cette raison que le nom de Peugeot a disparu des maillots, puisque le sponsoring est devenu nécessaire à la survie du club…

C’est une nouvelle histoire qui commence pour Sochaux, celle de l’indépendance financière


Des liens toujours forts


La présence de la firme automobile est une réalité physique : le club est organisé autour des usines Peugeot, les installations sportives s'intégrant au cœur des bâtiments industriels, le stade jouxtant les ateliers de montage des automobiles.


Plus qu'un sponsor, l'entreprise Peugeot est un employeur pour beaucoup de joueurs dont elle assure également pendant longtemps le reclassement au sein de l'usine.


Les dirigeants du club sont également issus de l'entreprise. Mais, une fois le budget voté en début d'année, il y a peu de contacts directs entre les responsables du club et la direction de Peugeot, comme il n'y a pas, ou très rarement, de pression sur les joueurs. Cependant, lorsque les résultats sont mauvais, les rumeurs courent sur le retrait de Peugeot. Mais on constate que pendant 70 ans, le soutien de la firme automobile n'a jamais failli. En effet, l'objectif de Peugeot est de proposer un spectacle, mais pas de se servir directement du football à des fins publicitaires.



"Le club fait intégralement partie du patrimoine familial. La volonté n'est pas de vendre des automobiles avec le football, mais d'offrir quelque chose aux salariés : un spectacle sportif de qualité… Je pense que le club a été et est toujours un élément fédérateur pour l'entreprise."


Eric Peugeot, président d’honnaur du FCSM



L'usine est souvent comparée à l'équipe de football et la direction à son capitaine, comme en témoigne cet article du "Courrier des usines" de 1954 :



"Il appartient aux responsables de l'équipe de connaître parfaitement chaque équipier pour le placer à l'endroit où il est capable de rendre son maximum. À l'usine c'est la même chose, chacun doit être parfaitement à sa place et il appartient aux chefs d'y veiller…"



Peugeot est plus attaché à l'éthique et à la morale de ses joueurs qu'aux résultats, parce qu'il s'agit de défendre l'esprit de l'entreprise. Plusieurs joueurs, très bons sur le terrain, sont ainsi remerciés en raison de leur comportement. Chaque année, les nouveaux joueurs sont invités à visiter les usines pour leur faire prendre conscience de la réalité du milieu industriel, les tremper dans le bain de la société qui les fait vivre et les amener à comparer leur sort à celui des ouvriers. En général, les jeunes joueurs se montrent impressionnés : "En voyant le travail à la chaîne, cela nous a marqués et nous nous sommes rendu compte de notre chance et de la dure réalité du travail en usine", se souvient l'ancien international Bernard Genghini.


Les joueurs sont rémunérés par Peugeot ; les spectateurs attendent donc beaucoup de ceux qui, avec le même patron, sont mieux payés. Le public sochalien est un public exigeant, parfois volatile, qui demande aux joueurs de donner le maximum. Les supporters n'acceptent pas la médiocrité et le manque de courage sur le terrain, David Robert parle du besoin "d'exemplarité " des joueurs.

Les liens entre Peugeot et le FC Sochaux-Montbéliard sont toujours perceptibles, mais les joueurs sont de moins en moins impliqués dans l'entreprise. Par exemple, ils n'ont plus besoin d'elle pour assurer leur reconversion, même si des anciens joueurs reviennent au club comme formateurs ou entraîneurs à l'image de Stéphane Paille qui entraîne l'équipe réserve.




"Sochaux n'est pas un club ouvrier, c'est un club d'entreprise. Néanmoins, les ouvriers ont une influence sur le jeu, ils veulent que les joueurs se battent sur le terrain. Il y a une fierté quand l'équipe gagne, une sorte "d'identification". Par contre quand le club perd, l'équipe devient celle du patron : c'est la faute de Peugeot qui n'a qu'à acheter des meilleurs joueurs !"


J. Thouzery, ancien président du FCSM




Un air de famille


Le club est organisé comme une grande famille et fonctionne sur le mode du paternalisme, tout comme Peugeot avec ses ouvriers. Ce climat familial explique une part du sentiment de confort et de cocon ressenti par les joueurs et dénoncé par les plus ambitieux. Ce phénomène est renforcé par le fait que de nombreux joueurs ont grandi dans l'enceinte du club, par leur passage dans le centre de formation.


Très attaché à son histoire, le FCSM a été le premier club de football à créer une amicale des anciens joueurs, particulièrement vivante. Chaque année, de nombreux anciens font le voyage des quatre coins de France mais aussi d'autres pays d'Europe (en particulier de Yougoslavie) et même d'Amérique du Sud pour se réunir autour d'une table et jouer un match de gala. Cette association née en 1988 est la preuve de la particularité du club et des liens qui existent entre les différentes générations de joueurs.



"Il y a une ambiance familiale, Montbéliard est une petite ville, les joueurs font souvent des sorties ensemble, il y a une osmose totale. Cela vient aussi de l'organisation du club, qui s'occupe de tout, des déclarations d'impôts des joueurs, de leurs assurances, du logement, etc."


Stéphane Paille, ancien joueur et entraîneur


Le FC Sochaux est un groupe social où la transmission du patrimoine collectif s'effectue par divers vecteurs : anciens joueurs, entraîneurs, dirigeants, supporters… Aussi, le club possède une identité forte malgré le renouvellement permanent des joueurs, la culture locale semblant bien résister aux changements des joueurs et des dirigeants.