La famille Kebab
Depuis trente ans, Mac Donald envahit le marché de la restauration rapide et s’étend sur les cinq continents.
Ce géant du fast-food, souvent perçu comme le symbole de l’expansionnisme américain, doit aujourd’hui affronter une nouvelle concurrence qui s’étend dans toute l’Europe : le Kebab !
Le développement exceptionnel du Kebab se fait sans grand renfort de capitaux. Souvent le fruit d’initiatives individuelles et familiales, ces restaurants sont de plus en plus organisés en filières ou dépendent de grossistes qui leur fournissent la viande… Et affichent aujourd’hui un chiffre d’affaires plus important que les fast-foods traditionnels !
Ce film raconte l’histoire de deux immigrés turcs décidés à se lancer dans l’aventure du Kebab à grande échelle. En moins d’un an, leur petite entreprise est devenue 5ème sur le marché européen du Kebab, témoignant d’une réussite et d’une ascension sociale exceptionnelles.
L’entreprise est installée dans les anciens abattoirs de Pirmasens, à la frontière de la Lorraine et de la Rhénanie-Palatinat. Dans cette « usine », ils fabriquent des pains de viande montés sur broche, prêts à cuire. Ce Kebab « clé en main » est ensuite congelé puis transporté par camion frigorifique dans de nombreuses villes européennes. D’abord stockées chez des grossistes, ces grandes brochettes de veau et de dinde épicées sont ensuite vendues une par une dans les petites échoppes des centre ville. En bout de chaîne, elles seront cuites puis découpées en fines lamelles pour constituer l’élément principal du Kebab.
Lezzet - le goût en français – est le nom choisit pour l’entreprise. Ils achètent un camion également en location-vente puis commencent par fabriquer des Kebabs en petite quantité. Mustapha Fergolu prépare la viande avec son frère et livre directement les restaurants un à un. En quelques mois, l’entreprise multiplie sa production. Mustapha installe un congélateur, achète des machines à découper la viande et perfectionne sa recette : un mélange d’épices mis au point avec son frère dont ils possèdent seuls le secret et qui leur permet de convaincre de nombreux restaurants de se fournir chez eux, car disent-ils : « notre Kebab a du goût ! »
La machine est lancée. L’entreprise vient de fêter son premier anniversaire. L’entreprise fait travaillé 27 salariés qui fabrique 70 tonnes de Kebab par mois. Ils vendent principalement en Franche-Comté où ils ont créé un premier dépôt à Montbéliard et dans le sud-ouest où ils tentent d’installer une succursale. Mustapha a en effet de nombreux amis à Montpellier et le réseau des connaissances est un des secrets de leur réussite. Ce sont d’ailleurs ces « réseaux turcs » qui ont permis à l’entreprise de démarrer, de nombreux amis ayant accepté de travailler gratuitement pour Lezzet pendant plusieurs mois.
Un souffle de mondialisation
Des Kebabs pour l’Europe ! C’était l’objectif affiché de Lezzet au moment de la création de l’entreprise, il y a un an. Un projet qui semble en bonne voie, même si aujourd’hui Lezzet est encore une entreprise fragile qui peut disparaître du jour au lendemain ou, au contraire, connaître une progression fulgurante.
« Aujourd’hui, on négocie le prix de la viande au centime près… Il y a encore un an, nous étions presque les seuls sur le marché, mais nous voyons chaque mois arriver de nouveaux concurrents ! »
Mustapha Fergolu
Les normes sanitaires européennes de plus en plus contraignantes poussent les restaurants à acheter ce Kebab « clé en main » labellisé et régulièrement contrôlé par les services vétérinaires. En effet, ils sont aujourd’hui une dizaine de concurrents sur ce marché à proposer le même produit et les mêmes services que Lezzet. La concurrence devient rude et la bataille des prix fait rage. Il faut d’un côté négocier à l’achat le prix de la viande en gros, et, de l’autre, réduire ses marges avec les restaurants qui font jouer la concurrence.
Pour ce qui est de la viande, Lezzet fait son marché en France, en Belgique et aux Pays-Bas… Et maintenant en Pologne où les prix sont 30% moins élevés qu’en Europe de l’ouest. Mais cela oblige Mustapha Fergolu à faire des voyages réguliers pour s’assurer de la qualité de la viande et de sa fraîcheur. À long terme, Mustapha et ses amis envisagent de créer une usine en Roumanie pour réduire les coûts de leur main d’œuvre. La délocalisation touche aussi le Kebab !
Une succursale vient d’être installée à Sedan après celle de Montbéliard. Un nouvel entrepôt va également voir le jour à Montpellier au cours de l’année 2006, lieu stratégique pour attaquer les marchés espagnols et portugais.
À l’Est comme à l’Ouest, ce système de distribution fonctionne sur un réseau d’entrepreneurs qui ne connaît pas de frontières et qui utilisent le turc comme langue commune. D’ailleurs, Français et Allemands travaillent chez Lezzet et ne connaissent aucun problème de communication…
Un modèle turc ?
« Les Turcs qui sont nés ici ont grandi avec des valeurs et un style de vie différents de ceux de leurs aînés. Ils sont jeunes et gagnent de l'argent. »
Ozan Sinan, sociologue
Quarante ans après l'arrivée des premiers travailleurs immigrés anatoliens, les entreprises turques se développent dans tous les domaines : BTP, transports, informatique et services. Une étude récente dénombre en Europe de l’ouest près de 60 000 entreprises détenues par des Turcs, contre 3 000 en 1970.
Même s'il y a eu une diversification récente des métiers, les secteurs de l'alimentation et la restauration arrivent toujours en tête, avec 12 000 restaurants et snacks turcs outre-Rhin et près de 8 000 en France. Mais, contrairement aux idées reçues, ils jouent dans la cour des grands. Ces modestes gargotes génèrent en effet un chiffre d'affaires annuel de 1,8 milliard d'euros, soit plus que McDonald's, Burger King et la chaîne de fast-foods allemande Wienerwald réunis !
Cette réussite s’appuie sur un réseau d’entrepreneurs turcs et sur la « confiance ». La plupart des accords passés entre Lezzet et ses clients se font hors contrat. Une simple poignée de main suffit pour entériner un accord verbal. Le réseau de clients se développe selon le bon vieux principe : « les amis de tes amis sont mes amis ». Le lien fort qui existe entre ces hommes et ces femmes d’une même communauté est la force de leur réseau de Kebab et la clé de leur réussite. Le Turc est la langue commune de ce commerce et, paradoxalement, elle leur permet de s’adapter parfaitement à un espace européen sans frontières où ils évoluent sans complexe puisqu’ils possèdent des relais ou des « amis » dans la plupart des pays occidentaux.
Pourtant ces entrepreneurs ne sont pas repliés sur leur communauté. Ils sont plutôt bien intégrés, parlent très bien le Français et l’Allemand, et savent également négocier avec des « non-Turcs », comme le montre les accords récents de Lezzet avec des sociétés polonaises ou autrichiennes.