Une enquête ordinaire



Que se passe-t-il entre le moment où un délit vient d'être commis et le procès de son ou de ses auteurs ? Que sait-on de ce passage particulier de l'histoire de certains d'entre nous hormis ce que nous en ont appris la littérature policière et le cinéma ?


L'arrestation, la garde-à-vue, les interrogatoires, tout cela fait partie d'un rituel qui nous paraît familier. Pourtant, qui pourrait comprendre la trame d'une telle histoire lorsqu'elle n'est pas jouée par des acteurs ?


Tout homme qui se retrouve en garde-à-vue, face aux représentants de l’ordre, n’est-il pas par sa position “d’accusé”, jugé d’avance ? Quelle est sa chance de s’en sortir ? Doit-il nier ou céder à la dynamique de “l’aveu libérateur”, forme détournée de : toute faute avouée est à moitié pardonnée ?



L’histoire


Une semaine après son retour de vacances, une cliente d’un grand hôtel 4 étoiles de Val d’Isère s’aperçoit qu’elle a égaré une pochette contenant des bijoux de grande valeur.

Un mois plus tard, la pochette est retrouvée par un veilleur de nuit qui la confie à la réceptionniste. Quelques jours passent, la pochette est retrouvée vide, sous le comptoir. Alertés tardivement, les gendarmes décident de faire une série de perquisitions chez les employés de l’hôtel. Au bout de deux jours d’enquête, ils découvrent une bague provenant du vol chez le veilleur de nuit, un Marocain de 55 ans. Il affirme avoir trouvé la bague dans la rue, à l’entrée du parking de l’hôtel. Il prévoyait même de l’offrir à sa fille. Les gendarmes n’en croient rien. Fort de ce principe, ils font pression sur lui pour obtenir des aveux. Dans le même temps, ils interrogent sa compagne, car ils ont découvert l’équivalent 30 000 F en liquide dans ses affaires. Ils pensent que cet argent pourrait provenir de la vente des bijoux manquants.


Les interrogatoires se succèdent durant une bonne partie de la nuit. Les gendarmes enregistrent 7 dépositions. A quelques virgules près, toutes se ressemblent.


A la fin de la garde-à-vue, le substitut du procureur d’Albertville décide de faire comparaître le veilleur de nuit pour recel de vol. Sa compagne est libre. Le veilleur revient donc une dernière fois dans la gendarmerie pour prendre note de la décision du substitut.


Le 2 juin, Le veilleur de nuit ne se rendra pas au tribunal. Après les atermoiements du juge et du substitut qui ne semblait pas bien comprendre le dossier, il sera finalement condamné à une amende de 1000 Euros avec inscription au casier. Sans doute paya-t-il de son absence…



Le film


Ce film suit l’affaire depuis les premiers jours de l’enquête jusqu’au verdict ; il met en évidence l’obstination, parfois stupide, de la justice et de ses représentants à vouloir obtenir des aveux. Il nous révèle aussi, qu’au-delà de tout jugement personnel, il est bien difficile de juger.

Cette enquête est d’autant plus significative qu’elle semble jouée d’avance : le suspect est le veilleur de nuit qui a découvert la pochette contenant les bijoux, il passe ses nuits à la réception, il a donc plusieurs fois été mis en présence de l’objet de tentation. Malgré tout, il reste un doute, ce doute qui met la Justice, la société dans l’embarras, qui nous renvoie l’inévitable question : comment trancher son cas ? Et souvent, comme dans cette affaire, la Justice “coupe la poire en deux”, au bénéfice du doute, des faiblesses de l’enquête.


Cette affaire banale montre aussi comment un homme seul, par son obstination, résiste à la pression policière. Que les deux murs qui s’affrontent ne se rencontrent jamais. Les gendarmes mentent pour obtenir des aveux. De son côté, le suspect ment pour ne pas céder de terrain. Plus la pression qui s’exerce sur lui est forte et plus il semble rebondir jusqu’au moment où il pourra même avoir l’impression “d’avoir eu le dessus”.



En dehors de l’affaire proprement dite, de ses rebondissements, c’est le drame d’un homme confronté à la Loi qui apparaît dans le film. D’un homme (coupable ou innocent) qui sera forcément marqué par son passage en garde-à-vue. Ce drame nous le percevons de loin (le personnage est le plus  souvent de dos) et nous ne savons rien de son histoire. Mais les bribes qui apparaissent au cours des interrogatoires découvrent un coin du voile : cet homme travaille depuis 27 ans pour les mêmes patrons, jusqu’à présent sa conduite paraît irréprochable, il gagne le SMIC, il a trois enfants. Il deviendra chômeur et comptable devant ses proches des soupçons qui pèsent sur lui…